MICHEL SMOLEC

 

TEXTE D’ALBERTO CUADROS.

 

Un démiurge naquît de l’Argile Elémentaire

ou

La somme esthétique du troisième œil

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Smolec et "Au bois de Boulogne"
Smolec et "Au bois de Boulogne"

Grand Théâtre des Provinces du Nord.

(Sur la scène, une pirogue. Un rideau de fond de scène nous présente une atmosphère de jungle. Une lumière tamisée rend possible une ambiance d’aventure aux antipodes. Totorino porte sa célèbre redingote en poil de puce végétal. )

 

Totorino :   Dépêchez-vous, Georges - Emmanuel, cette pirogue ne va pas attendre ici une éternité !

Georges – Emmanuel : J’arrive, j’arrive, mais qu’est -ce qui vous pousse à cette folie, Totorino ?

 

Totorino : Montez, vite ! Nous allons aux Antipodes, je vous amène là où la terre glaise surgit du cœur de la nature…en même temps j’en profite pour vous parler de Michel Smolec, artiste qui possède une sorte de flair tactile. Il mesure l’espace avec ses mains, l’action de la main définit les creux et les pleins tout en insufflant une harmonie dans la douceur des formes. Au commencement du Monde était l’Action et celle-ci se prolonge dans l’Argile Primitive de Michel Smolec. Ses personnages sont semblables à une fleur blottie dans le vase des possibles.

Georges – Emmanuel : Je connais. Je n’ai jamais vu un poète modeler avec autant d’amour et tendresse ses personnages, avec autant de bonheur. Je suis persuadé qu’il leur parle, qu’il leur raconte des histoires…

Euthanasie
Euthanasie

 

Totorino : Sans doute. Un dialogue permanent s’est établi entre le créateur et ses personnages qu’il fait danser, qu’il fait communiquer par leur corps, se mouvant dans une sorte de temporalité infinie. Allons, Georges…vous allez nous faire chavirer…lâchez ce crocodile, jetez-le à l’eau !!!

Georges – Emmanuel : Pardon ! Voyez-vous, Totorino, des matériaux fournis par la nature Michel Smolec extrait la substance qui ne cesse de se renouveler…Nous retrouvons, comme au théâtre, l’unité d’action puisque la matière narrative s’organise autour d’une histoire, d’une fable qui se joue à deux, trois personnages. La modernité de l’œuvre de Smolec nous évoque les « tableaux vivants » qui étaient une pratique scénique jadis courante dans le théâtre.

Dans la tourmente
Dans la tourmente

Totorino : Surtout en imaginant les personnages évoluer, on est en droit d’imaginer la suite avec, au bout du chemin, un retournement dramaturgique vers un espace gestuel, ludique et irrévocable.

Georges – Emmanuel : Une gestualité stimulant nos sens. Les personnages de Michel Smolec nous dévoilent une trame, un événement narré dont la facture nous guide inéluctablement vers un revirement heureux…

 

Totorino : Exact. L’effet laissé sur la rétine est durable et irréversible. La marche arrière est impossible. Ceci nous introduit tout naturellement aux dessins et peintures de Michel Smolec : le troisième œil occupe une place privilégiée dans son œuvre. Ce troisième œil accède à des sphères inespérées, à des mondes étranges d’où l’artiste tire sa nourriture. Cet œil regarde des dimensions devenues occultes à la perception sensorielle de l’adulte. Les personnages de Smolec ont conservé la faculté de pénétrer dans des visions réservées à l’enfance. Ainsi la profusion d’yeux chez Michel Smolec ce sont des fenêtres ouvertes donnant sur des univers où magie et jeu ont établi leur espace-temps, où nous nous rendons grâce à l’invitation de l’artiste.

Ne vois-tu rien venir ?
Ne vois-tu rien venir ?

Mais ce troisième œil a par ailleurs une autre fonction : il guette, il scrute, il est à l’affût des mouvements de l’âme chez « le spectateur » et il transmue ces mouvements en limon fertile. En réalité, cet oeil est phare et particule de lumière. L’œil est le miroir du poète.

Georges – Emmanuel : Pardon, Totorino… vous disiez ?

 

Totorino : Je disais que…mais au secours !!! Nom d’un chien, Georges - Emmanuel, lâchez ce crocodile !!! Ne voyez vous pas qu’on coule ???!!!

Le metteur en scène : Cher public, nous ne saurons jamais si la pirogue de Totorino arriva à destination… Néanmoins je peux témoigner que des habitants des Antipodes auraient aperçu Georges-Emmanuel avec un crocodile dans les bras… (Au régisseur) Noir.

 

Le rideau tombe lentement.

Sarabande
Sarabande